« La première fois que j’ai entendu le tambour ou l’abissa pendant la cérémonie traditionnelle de l’abissa je suis tombé en transe », m’a raconté Asna par une nuit glaciale sur le lac de Genève, tandis que le collectif La Sunday réchauffait la salle d’à côté en mixant du baile funk. « J’étais là et j’entendais la techno, j’entendais la transe, et il y a eu une sorte de tourbillon en moi ! » poursuit l’artiste emportée par son souvenir : « Je me suis dit : mais l’humanité est trop con ! Au fait, on est vraiment connecté, on est vraiment un ! Tout est pareil finalement ».
Si tout lui paraissait alors pareil, le single d’Asna et anyoneID, « Abissa », est résolument différent, mélangeant les techniques robotisées de la musique électronique avec les tambours et les rythmes de l’Afrique. Le single lui-même porte le nom de la fête du nouvel an N’zima (population qui vit au sud de la Côte d’Ivoire, dans la région de Bassam, NDLR) qui met en vedette l’Edo N’Gbolé (tambour sacré). Celui-là même qui a fait entrer Asna en transe et déclenché son long voyage d’exploration, en quête de clefs pour comprendre ce qui l’avait tant frappée lors de ce moment de vérité. « Rien que d’entendre ce tambour là, j’entendais les rythmes du monde entier. C’était en 2015, donc je me suis dit : il faut que je fasse quelque chose avec ça. Il faut que j’arrive à faire naître ça physiquement…»
Asna est une artiste visuelle de métier, basée à Abidjan. Cependant, comme les N’Zima de la cérémonie de l’Abissa, Asna a une longue histoire migratoire qui a nourri les créations colorées de la jeune artiste. Sa première sortie musicale, « Atalaku », date de juillet 2021. Le titre préfigure ce qu’« Abissa » allait devenir ; un doux mélange de deep house et de ce qui ressemble à de la rumba congolaise ou à du highlife ghanéen. « Je dis toujours en tant qu’Africaine, en vérité, on baigne dans la musique. J’ai toujours baigné dans la musique », a-t- elle expliqué. « Pour moi ça a toujours été naturel. C’est dans la vie quotidienne. »
Tout aussi naturelle fut la rencontre avec Black Charles aux débuts du collectif La Sunday, une fête de quartier d’Abidjan qui s’est transformée en festival musical en l’espace de quelques mois. Black Charles, l’un des fondateurs de La Sunday était en tournée avec Asna à Genève avec les cofondateurs Fayçal Lazraq, et Lionel aka DJ Jeunelio. « Quand je suis rentrée du Maroc,, il y a un bar dans lequel Charles était résident et je suis allé tout le temps là bas », se rappelle Asna. « Un jour je lui ai dit, ‘Charles j’ai bien envie que tu m’apprennes à mixer.’ Il a dit, ‘Oui pas de souci.’ » Asna en rit encore : « Mon premier set, c’était 20 minutes, et c’était une catastrophe ! » La catastrophe n’a pas duré longtemps. À ce jour, Asna a joué sur les scènes les plus branchées du monde de la musique africaine et électronique, notamment Afropunk, les Nuits Sonores, Nyege Nyege, le Maquis Electroniq et bien évidemment La Sunday.
J’ai demandé à Asna si elle comprenait pourquoi sa musique marchait si bien, des scènes de Kampala à celles de Paris. « Quand j’ai commencé à faire de la musique, la base de tout ça, ce qui m’a motivé, c’est de pouvoir partager mon identité, ma culture, de façon authentique et sincère par rapport à la génération dont je fais partie, qui est complètement libre et décomplexée par rapport à la précédente », explique-t-elle. « Et quand je dis décomplexée je parle de tout l’héritage colonial, ce genre de choses. » « Abissa », ainsi que la vidéo, incarnent cette liberté de manière extatique. Dans la vidéo, une danseuse aux cheveux roses gesticule dans les rues, attirant les enfants loin des activités de la journée pour les entraîner dans un festival de danse. Bien qu’il y ait des passages d’aînés aux visages burinés, le clip est une célébration de l’envie incontrôlable de danser des jeunes.
« Ma génération, c’est quoi ? ». Asna explique : « Moi je suis ivoirienne je suis sénégalaise, je suis mauritanienne. Je voyageais partout, j’ai fait des études au Maroc, j’ai fait des études en France… Je fais partie d’une génération un peu hybride mais bien enracinée maintenant. Je sais d’où je viens. On a fait la paix, poursuit-elle, avec tous les demons herité de la colonisation et de l’esclavage… On sait d’où on vient on est en paix avec notre histoire et on va maintenant dans le monde. Ma musique aussi c’est ça. C’est imprégné de mon identité africaine avec des sonorités numériques un peu bizarres comme celle que je prends partout, et c’est ça aussi l’histoire de mon dernier single. »
Dans la musique, dans la danse et dans les espaces qu’elles créent, il y a une légèreté de l’être qui appelle à aller de l’avant ; le tambour est un son sacré qui peut transcender les atrocités du passé, et ses rythmes sont un cadeau pour les pistes de danse du futur. J’ai interrogé Asna sur l’esprit de l’époque, le sentiment de la jeunesse d’Abidjan. « Les gens sont authentiques » elle commence. « Plus ce côté vivant. C’est toujours en mouvement. Il y a une légèreté aussi. On ne prend pas les choses avec gravité. Chez nous il n’y a rien dans une case, tout est à faire, tout est à créer, donc on se permet plein de choses. » C’est ce même esprit sans doute qui a permis l’explosion du phénomène La Sunday à Abidjan, en transformant une réunion de 50 personnes en un festival de musique auquel 10 000 personnes ont assisté en six mois.
Avec « Abissa », Asna s’est permis beaucoup de choses, ouvrant la porte à plus de création, plus d’hybridation ; surtout avec l’aide de personnes comme anyoneID, producteur et DJ français connu pour son étonnante palette de sons et ses mélanges surprenants.
Au bord du lac glacé, Asna a conclu : « C’est mon identité africaine et ces histoires que je veux raconter. Et aussi j’ai vraiment envie d’explorer. Je suis sûr et certain qu’il y a des horizons qu’on n’a pas encore explorée dans la musique. » Elle continue avec enthousiasme : « Je te jure, il y a un truc en moi qui me dit qu’on n’a pas encore tout exploré. C’est ça que je cherche en profondeur. Je casse les codes comme avec le track ‘Abissa’ jusqu’à ce que ce puisse me dire : ‘Ah oui, c’est ça que je cherchais. C’est ça que je cherchais.’ »
Écouter « Abissa » et précommander Nyamakala Beats #3.
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